Rodrigo
Gómez
Rovira
Au début des années 90, je travaillais dans la ville de Colombes, j’étais photographe municipal.
Deux années d’apprentissage.
Tous les mois, nous faisions une revue qui rendait compte de tout ce qui se passait dans cette commune de 83 000 habitants.
À cette même époque, j’ai commencé à avoir des séances de psychanalyse avec Ariel Conte.
Après deux ans de travail, les photos que je prenais pour la municipalité de Colombes, commencèrent à être routinières et j’étais déterminé à aller vivre au Chili.
Ma famille était rentrée depuis 5 ans environ.
C’était très étrange d’être chilien sans vraiment connaître le Chili.
Je voulais pouvoir décider : faire ma vie ici ou là-bas.
Mais pour cela, je devais le vivre à travers ma propre expérience, et non pas uniquement à travers les histoires des adultes qui m’entouraient.
Dans le bureau d’Ariel se trouvait une gravure en noir et blanc d’un voilier, semblable aux caravelles des marins aventureux du XVe siècle. Quand j’étais assis en face d’Ariel, le tableau était sur un mur à ma gauche, je ne l’avais jamais vraiment regardé dans le détail.
Au bout de deux ans, à raison d’une séance par semaine, j’ai voulu passer à la position allongée sur le divan qui selon la psychanalyse permet une implication plus profonde, une libération de la parole et de l’esprit. Jusqu’à présent, nous étions toujours assis face à face.
Quand je me suis couché sur le divan, l’anxiété m’a envahi et je n’ai pas voulu répéter cette expérience, cela n’a duré qu’une séance. Mais dans cette position, j’ai vu plus précisément la gravure du navire de face et j’ai pensé que c’était ainsi que je devais retourner au Chili. Sans précipitation. Quitter la France, naviguer sur des mers qui ne seraient ni le Chili ni la France puis arriver.
Mon expérience sur le divan fut très brève mais elle m’a permis de m’ouvrir à cette aventure, une très bonne idée.
En parcourant les planches contact, 27 ans plus tard, sur cette première pélicule photographique, je suis tombé sur une photo de Coco, la fiancée que j’avais quittée.
Elle était au piano, celui de Matías avec qui je vivais rue St Denis à Colombes.
Nous avions grandi ensemble avec nos familles exilées.
Matías était plus jeune, plus proche de mon frère Fernando.
Il était rentré au Chili au début années 90 et souhaitait revenir en France pour apprendre à jouer du piano.
Son père fut très dur à son égard, il avait refait sa vie en France et lorsque Matías revint, il refusa de le recevoir, ni même d’aller le chercher à l’aéroport.
Quand je suis parti, j’ai laissé à Matías l’appartement totalement aménagé.
Je n’ai pris que quelques livres, mes disques, une chambre photographique, et un agrandisseur.
Des années plus tard, Matías est rentré au Chili.
Il est tombé malade, atteint d’un cancer, il s’est enfermé dans une chambre à Santiago et s’est laissé mourir.
Nous l’avons enterré alors qu’il avait 39 ans, son père n’est pas venu au cimetière.
Il a abandonné son fils.
Au début des années 2000, Coco est venue au Chili avec son fiancé, j’étais très heureux de la revoir.
Revisando las tiras de contactos, 27 años después, me encontré en el primer rollo, con una foto de Coco, la novia que dejaba.
Ella estaba tocando el piano de Matías con quien vivía en mi casa de la calle St Denis en Colombes.
Habíamos crecido con nuestras familias exiliadas.
Matías era más joven, más amigo de mi hermano Fernando.
Había regresado a Chile al inicio de los 90 y quiso volver a Francia para estudiar piano.
Su padre fue muy duro con él, había rehecho su vida en Francia y cuando Matías volvió no lo quiso recibir, ni siquiera ir a buscar al aeropuerto.
Cuando me fui le dejé a Matías el departamento con todo lo que conlleva un hogar.
Sólo me traje unos libros, mis discos, una cámara de placa y una ampliadora.
Años más tarde Matías volvió a Chile.
Se enfermó de cáncer, se encerró en una pieza en Santiago y se dejó morir.
Lo enterramos con 39 años y su padre no apareció en el cementerio.
Lo abandonó.
Al inicio de los años 2000 Coco vino a Chile con su novio, me dio mucho gusto volver a verla.